Mâkhi Xenakis, “Catharsis”, ou l’ambition archaïque


Mâkhi Xenakis, Maternité, 1988, dessin sur papier, 23 x 29 cm.
Visite d’atelier du 4 avril 2018,
en préparation de l’exposition de Mâkhi Xenakis,
à la Maison des arts de Châtillon, du 16 mai au 24 juin 2018, Catharsis.


Mâkhi Xenakis, Araignée, peur. 1994, crayon,
mine de plomb sur papier, 50 x 48,5 cm.
Visite d’atelier du 4 avril 2018,

     « Karthasis », toujours. Tremblements et apaisement des formes. Ce que peut l’art. Exposer les passions, dire les effrois, dénuder les peurs, et puis les regarder en face, dans la profusion d’un trait, dans la saturation d’une surface, dans la solitude d’une masse dessinée ou sculptée, et puis les gommer, les estomper, les absorber, et laisser place aux encres, aux éclosions, aux gouffres, aux concordances rassurantes, aux métamorphoses. Partage d’équilibre et de cohérence porté par les dessins, les sculptures, les livres de Mâkhi Xenakis. Partage d’échos et de résonances. Vient le temps personnel d’une œuvre pleine qui cerne le contemporain, le bouscule, le met en contrepoint d’une puissance archaïque familière. Vient le déroulé spatial d’un monde plastique et visuel qui s’épand, s’enroule, éclot, s’ouvre généreusement dans la langue baroque du dessin pastel et de l’encre rebelle, et leurs noirs féconds, et leurs roses profus, aussi minéraux que floraux, et de leurs bleus obsédants, mythiques, aqueux; un monde plastique qui s’éprouve dans la langue aussi fragile qu’obstinée, aussi archaïque que silencieuse de la sculpture faite de béton armé, qui s’apaise dans la langue contemporaine de l’écriture, intime et biographique.

     Mâkhi Xenakis tire ses fils, parfois dans le souvenir de La Dentellière de Vermeer, souvent dans les fantômes de l’enfance, profondément dans la conversation initiatrice avec Louise Bourgeois, rencontrée à New York à la fin des années 1980. Xenakis tire ses fils, ensemble ou les uns après les autres, les mêle au creux de l’incertitude ou les dénoue à nu de son propre effroi, ose les répéter dans un défi au gouffre séduisant, laisse venir les métamorphoses, agiles, inattendues, entr'aperçues, évidentes, puis s’applique à les renouer avec la patience de la conteuse, pour toujours reprendre l’histoire première. Originelle. Recommencée. Inépuisée. La vie, la création, la naissance, le chaos, la solitude, la folie, la mort, la réconciliation ultime. Toujours la même énigme dans la main de l’artiste, depuis ses Petites bonnes femmes, esquissées au crayon, à l’encre, arc-boutées, mille et mille fois reprises, et prêtes à vivre sur la feuille, à se tenir debout, à devenir araignées ou pulpeuses Arachnés, à devenir éclosions ou méduses anamorphoses, œil maelström ou gouffres d’abondance. L’énigme qui revient par tous les bords, par toutes les matières, de l’aquarelle au plâtre, puis au ciment, du carton plume au calque sur lequel les encres glissent, aléatoires, perdues, avant de retrouver stabilité et la surprise d’une forme. Katharsis de la forme. Celles des grands pastels roses, celle des pastels noirs compacts, que Mâkhi Xenakis débute à l’orée des années 2000; celle des pastels marins dont les outremers lamés à la gomme, les mauves modulés, les violets arrimés à des larmes de blanc soyeux s’échappent en trombe vers l’oculus lumineux, celle de l’œil méduse se métamorphosant en œil cyclope, unique, béant, point de vie d’un vide conciliant, jusqu’aux formes droites, hiératiques du nouveau groupe de sculptural des Rencontres impossibles, acmé de l’énigme elle-même, où les figures identifiées par leur mythologie réinventée sont moins des personnages tragiques que les corps mimétiques d’un acte créateur bifide.

     Moment nodal dans l’œuvre de Mâkhi Xenakis, le trio des Rencontres impossibles est catalyseur d’un désir, catharsis d’un manque, figuration d’un événement qui refusa d’advenir, assomption d’un legs double et d’une généalogie divisée. Mais il vient se joindre aux petites et grandes créatures rondes, sensuelles et hybrides de l’artiste, à ses Sphinges, à l’assemblée anonyme que sont ses créatures bleues, longilignes, abstraites, aux yeux mutiques, qui nous regardent et nous demandent, aux Folles d’enfer de la Salpêtrière. Et, là, au sein de cette communauté formelle qui est la sienne, Mâkhi Xenakis consent à prendre place dans le chœur artiste, et à y «jouer» l’acte libérateur de la relation sur la scène antique de l’art.

Ce texte a été écrit pour le catalogue de l’exposition de Mâkhi Xenakis, Catharsis, à la Maison des arts de Châtillon, et en est la préface. Mes remerciements à Mâkhi Xenakis et à Caroline Quaghebeur, directrice de la Maison des arts.





Exposition Mâkhi Xenakis, Catharsis, Maison des arts de Châtillon (92)
Du 16 au 24 juin 2018.
https://www.maisondesarts-chatillon.fr/makhi-xenakis

https://www.maisondesarts-chatillon.fr/


Commentaires

Articles les plus consultés